mardi 12 novembre 2013

Shikoku la coriace


 
Ca semblait être une bonne idée. On allait éviter l'enfer des camions en allant de Kyoto à Hiroshima non par Osaka et Kobe, mais par l'île de Shikoku. Au final c'était top, mais nos mollets n'en sont pas encore remis.


Tout a commencé par une montée couillue mais jolie dans les feuillages d'automne, avec un col à style 800m. (Quand on part du niveau de la mer et avec des vélos qui doivent peser dans les 40 kilos, ça fait pas mal). On avait vu juste. Presque plus de circulation du tout, sauf une ou deux bétonneuses, puisque le bétonnage de la nature est presque un sport national au Japon. On se retrouve dans des villages où des poupées à taille humaine peuplent des maisons désertes.


Tout le monde est parti?
Non non, nous fait comprendre un panneau.

 
Eh oui, les vallées de l'est de Shikoku sont maintenant le royaume de vieilles dames sur des déambulateurs électriques. On peut les observer bien concentrées sur leur engin, faire des kilomètres sur les routes tortueuses pour aller chercher des nouilles au village voisin. Elles sont très calmes mais veillent au grain. On ne saura jamais laquelle a envoyé le flic du village sur notre lieu de camping sauvage...


Il est arrivé avec sa lampe de poche sans faire de bruit alors qu'on cuisait tranquillement nos pâtes au bord d'un feu, en nous préparant pour le col du lendemain à plus de 1400 mètres. La mort dans l'âme on se voyait déjà démonter la tente et partir à la recherche d'un nouveau terrain dans la nuit.

Son anglais n'était pas meilleur que notre japonais, la communication s'annonçait difficile. Il s'est alors mis à faire traduire des phrases à son Iphone. Ca a pris un moment et on craignait le pire. Il nous montre son écran: "Be careful not to catch cold". Soupir de soulagement. On n'était pas si mal barrés. Il a ensuite annoncé la mauvaise nouvelle: notre col était fermé à cause d'un glissement de terrain. Il fallait redescendre, contourner la vallée et remonter de l'autre côté. Rhaaaa ! Heureusement que les vues en valaient la peine.

 
Mais on ne voulait pas se laisser pas faire comme ça. Notre mini-atlas japonais indiquait la possibilité de rejoindre le col par des chemins de forêt sans redescendre tout en bas. On se lance pleins d'espoir. Après une heure de montée, une dame s'arrête en voiture et nous fait le signe qu'on redoute comme la peste: un "x" avec les deux index, synonyme d'un non catégorique. Cette route aussi est bloquée. Damned! On se résigne alors à faire le détour, nos mollets ne sont pas à ça près. On descend 30 kilomètres et on se lance dans une remontée de 45 kilomètres. On campe à mi-chemin. Tout semble avoir repris son cours. Manque de chance, l'un des sushis de midi n'était pas frais. Je vous passe les détails, mais l'intoxication alimentaire en camping sauvage c'est quelque chose.

 
Troisième jour. Plus que 1000 mètres de dénivelé. On va bien l'atteindre, ce col. Après la nuit que j'ai passée, je suis comme la tortue qui n'a pas su partir à point. Deux sucres de raisin retrouvés au fond d'une poche et quelques pauses à même la route me sauvent la mise. En haut c'est la terre promise: un hôtel nous attend, perdu au milieu des érables. On craque aussitôt. Quel luxe d'avoir un vrai lit, l'eau courante et même des toilettes dans la chambre!

 
Le lendemain c'est la récompense. Une journée avec presque uniquement de la descente et la visite de ce qu'on cherchait à atteindre depuis tout ce temps: deux ponts en lianes construits vers le 11ème siècle par des proches de l'Empereur tombés en disgrâce et venus se réfugier dans cette jungle. Vu les efforts qu'on avait faits pour y arriver, ça avait intérêt à valoir la peine. Miracle, c'était le cas.  

 
Mais on n'était pas au bout de nos peines. On a passé encore trois jours à serpenter, monter et descendre sur les routes de Shikoku avant de se faire recracher par la montagne à travers un tunnel de 5 kilomètres. Trop beau de retrouver la mer, les mandariniers et les routes toutes plates.
 
 
On renoue avec les joies du camping au bord de la mer
 
 
On se fait de nouveaux amis


Et on quitte Shikoku suspendus entre ciel et mer

 

lundi 11 novembre 2013

Coups de fil d’Hiroshima

 
Quand on arrive dans une grande ville, on quitte momentanément notre tente pour une chambre avec tatami et on en profite pour appeler nos proches. Depuis Hiroshima c’était pas triste: « Qu’est-ce qu’on est bien venus faire à Hiroshima ? Mais grand-maman, ça fait 68 ans que la bombe a explosé, depuis c’est redevenu une ville agréable, il y a de belles terrasses sous les arbres le long des canaux. Oui oui, il y a des arbres. Mais oui, il y a des feuilles qui poussent sur ces arbres ! » Le père ensuite : «Mais vous avez trouvé où loger ? – Papa, ça fait presque 70 ans, tout a été reconstruit depuis. Il y a tous les hôtels que tu veux ! » La mère enfin : « Quoi, vous avez mangé des huîtres? Elles étaient pas complètement radioactives ? – Ben c'est la spécialité du coin, et à voir le nombre de gens qui en mangeaient, ça donnait plutôt confiance...»
 
C’est vrai qu’à la base j’aurais pas forcément pensé venir par Hiroshima. Comme le guide n'en disait que du bien, on est allés voir. En arrivant je trouvais bizarre de voir tous ces immeubles en pensant qu’il y a quelques décennies il ne restait plus rien. J’avais presque envie d’aborder les gens dans la rue pour leur dire à quel point ça me faisait de la peine ce qui leur est arrivé. Sauf qu’eux ils avaient l’air tout sauf désolés. En fait Hiroshima est redevenue une ville comme une autre depuis bien longtemps.

Je dis pas ça pour sous-estimer les horreurs de la bombe atomique. On est allés visiter le mémorial qui raconte comment les Américains avaient sélectionné une douzaine de villes « candidates », toutes sur un terrain plat, afin que l'arme puisse montrer sa puissance sans être limitée par des obstacles géographiques. Ils avaient alors suspendu les bombardements sur ces villes, pour qu’on puisse voir ce qu’une seule bombe était capable de détruire en une seule fois. Ils avaient ensuite choisi quatre « finalistes ». Hiroshima était la cible privilégiée car elle avait toujours été un haut lieu de l’armée japonaise et qu’il n’y avait pas de camps de prisonniers alliés. Le matin du 6 août 1945, comme il faisait beau et qu’on voyait bien le pont qui servait de cible au centre ville, ils ont largué la bombe. Lorsqu’elle a explosé, la température est montée jusqu'à 4000 degrés. Les gens ont été brûlés, les bâtiments ont pris feu, et même les tuiles (en terre cuite) ont fondu. Dans le musée on peut voir quelques objets qui appartenaient aux victimes : du riz carbonisé dans une boîte en alu, un tricycle rouillé qu’un papa a enterré avec son petit garçon pour qu’il ne soit pas seul dans sa tombe, et de la peau et des ongles d’un écolier conservés par sa mère...

Sur-glauque. 
    
Mais maintenant de l’eau a coulé sous les ponts. La ville a été entièrement reconstruite, c’est même celle qui a les plus jolies terrasses du Japon. Des Américains jouent dans l’équipe de baseball des Carpes d’Hiroshima. Il y a des pêcheurs au bord des rivières, des mamans avec des poussettes et des écoliers tous les coins de rue. Bref, Hiroshima c'est une ville qui vit, et plutôt gaiment.